Jamais elle ne fermait un livre. Sans cesse trônait à ses côtés un ouvrage plié sur sa moitié, interrompu au cœur de l'histoire. Ils l'avaient toujours connue ainsi. Il n'y avait pas un seul dimanche sans la voir, cheveux humides à la racine, secs aux pointes, repliée sur une page trop souvent cornée, habituée au matelas usé par le temps, genoux ramenés contre elle, se mordant méthodiquement l'intérieur de la joue.
Ces instants de calme étaient précieux, hebdomadaires - si ce n'est quotidiens, apaisants. C'était sa première passion : le calme.
Avec le temps on se demandait même si elle ne s'abandonnait pas à ces instants de lecture dans un endroit spécifique comme seul prétexte pour qu'un message passe. Il fallait alors comprendre qu'elle réclamait un temps où personne ne la demanderait, sachant qu'on l'observait pour un service précis.
Cependant on l'observait souvent parce qu'elle était fascinante dans cet univers stérile, elle apparaissait comme un être innocent et vide, cherchant à remplir sa vie du récit des autres, elle s'imaginait dans les rues de New York, sous la torpeur des tropiques, habitant la rue Mouffetard, jouant avec ses sœurs dans le jardin des Plantes... Mais quand elle refermait les pages tout s'écroulait sous le poids des photos, des objets achetés vingt ans auparavant, des couleurs des murs, du vieux fauteuil du salon, du guide touristique sur la table basse - promesse d'un voyage épuisée par les années.
Alors les livres ne se refermaient pas.