Cette boue semble sale mais en fait, elle l'est. De ce désir vague et en même temps inflexible, les habitants de cette cité utopique avaient fait un idéal. Ce n'est pas forcement un bon signe, cela prouve seulement que l'héritage de Beckett ne s'est pas perdu en attendant l'autre. Il en eut été tout autrement si en lieu et place d'un toc de rangement, la fille du gouverneur eut été allergique au paraben. D'ailleurs, une carte postale en vente au palais présentait la ville à ses débuts, encore grouillante de bestioles et de bestiaux.
On était si bien sur l'herbe, surtout le soir, lorsque les prés fatigués par le soleil laissaient s'appesantir les brins moites et tièdes. C'est chaque fois la même chose, l'herbe se fane, se ramollit, s'affale paresseusement en attendant la nuit. Au matin, dans un élan titanesque, elles renaissent, dupes et tendres, encore effleurées de rosée, prêtes à souffrir, sans le savoir sans doute, une autre journée de labeur improductif. Quoi qu'il en soit, celui qui va se promener ne peut pas penser au ciel en même temps qu'à ses pieds. Il suffit de regarder l'horizon pour effacer d'un battement de cils, ceux de son cœur en son torse et de ses pieds sur le bitume. Les pas s'arrêtent derrière le regard. Lui, continue, sans limite. En apparence au moins.
Presque tous les jours désormais, chaque brin d'herbe était traqué, les cailloux tamisés, la moindre trace de vie animale capturée et classifiée. Une fois le travail fini, tous les autres membres de l'espèce se devaient d'être exterminés. Une sorte d'arche de Noé à l'envers. C'est ainsi que commença la période de la chasse aux chats, aux chiens et jusqu'aux purs-sangs anglais du comte de Beille. Avant de se livrer à une telle battue, il avait fallu faire l'inventaire. Comme il l'avait fait tant de fois, le peintre officiel avait peint chaque espèce de sa main adroite dans des livres reliés de lin. Ce que les aquarelles ne montrent pas, c'est la sauvagerie des « chasseurs de poils », comme ils aimaient à se faire appeler. Le coup qui s'abat et la lame qui tranche, le sac qui peu à peu se remplit et se tache. De ces entreprises aventureuses et charitables, c'est à peine si l'héritière entendit l'écho. Génial et cabotin, riche de cette indomptable malice, son permissif paternel avait eu la présence d'esprit de lui cacher dès l'apparition de ses premiers trouble, l'existence d'être potentiellement créateurs de désordre.
Plus tard, beaucoup plus tard, lorsque la nature eut totalement péri, la jeune fille fût autorisée à circuler libre et seule aux abords du domaine. A la tombée du crépuscule, quelqu'un l'aborda. Ne me demandez pas pourquoi, je ne saurai vous le dire, son nom lui était connu, son visage familier. Depuis son plus jeune âge il l'avait accompagné. Au bout d'un mois, il avait réussi à obtenir d'elle qu'elle ne supporte plus de vivre que dans des pièces aux coins parfaitement orthogonaux. A tout instant quelques-unes de ces pensées s'insinuaient plus profondément en elle. Impossible pour elle, longtemps après, d'ôter de son crâne cette folie rectiligne qui ne laissait rien dépasser d'elle-même.
J'aimerais éviter de me souvenir de ce qu'il advint d'elle. Près de l'endroit où se trouvait sa chambre, elle s'était pendue, un fil à plomb à ses côtés. La ville devenue cité fantôme n'avait plus de raison de continuer à vivre sa catatonie aseptisée. Elle mourut en même temps que l'infortunée crinoline.
J'attends l'heure où tous seront debouts, contemplant l'asphalte craquelée, hérissée des épines d'une nature rancunière ; cherchant en vain une raison à cet ordre de façade et plus encore à ce qu'un jour, il dissimula.
Rose Mansion a utilisé certains débuts de phrases mis à la disposition de tous pour avancer le plus imaginaire des récits.