A la tombée du crépuscule, quelqu'un était passé près de la fenêtre, quelqu'un ou quelque chose, une ombre suffisamment inquiétante s'était introduite dans son esprit pour la faire se lever de son lit et constater le calme de la rue. Elle alla reprendre sa place auprès de son traversin, la couette relevée jusqu'à la joue, dans des draps qui la rassuraient, qui devaient la rassurer.
La demi-heure qui suivit fut un véritable cauchemar dans lequel elle ne trouva pas le sommeil, constamment dérangée par cette pensée qui lui restait, cette ombre, pourtant si fugace, s'était bien imprimée dans sa tête. Depuis son plus jeune âge, elle avait tendance à trop s'inquiéter, la faisant s'imaginer les plus folles et plus longues histoires sorties d'un doute, d'une inquiétude, d'un extrait de sensation. Rien ne la détournait de son récit jusqu'à ce qu'elle se rendît compte par elle-même de la futilité de ses angoisses. Comme elle l'avait tant de fois fait auparavant Sophie regarda l'heure qui ne s'arrêtait pas, tout allait toujours trop vite, le temps ne lui laissait pas le loisir de se défaire de ses troubles. Seules deux choses lui permettaient de se rassurer : l'arrivée du matin et les compiles de Bernard Lavilliers. Avant de se livrer à un tel acte de dépravation, elle voulait vérifier une nouvelle fois, bien que l'ombre ne se soit plus manifestée, si tout était calme dans la rue. Ça l'était.
Ce n'était pas seulement un bon signe, cela prouvait aussi qu'elle était la seule à s'inquiéter, ses voisins dormaient tous, pas un chat, rien qui ne pouvait attester d'un quelconque bruit ou mouvement. Loin quelque part dans la ville, peut-être que quelqu'un, comme elle, scrutait sa rue, dans l'espoir de trouver une réponse à des peurs idiotes.
Plus tard, beaucoup plus tard, lorsque la compile de Bernard Lavilliers fut finie (car ces compiles durent longtemps) elle avait réussi à s'endormir. Ce qu'elle craignait le plus était sur le point d'arriver, comme pour se moquer des problèmes qu'elle rencontrait pour s'endormir ; une envie de pisser fulgurante allait la forcer à se lever 40 minutes seulement après qu'elle fût emmenée par les bras de Morphée, laissons-les lui, la pauvre.
Mathieu Laffargue