Un groupe de personnes qui se réunissent un jeudi sur deux pour écrire

lundi 21 novembre 2011

Un panier de cerises

En dépit des apparences, c'était une journée plutôt animée pour un vingt-et-un décembre. Par les portes-fenêtres de la salle à manger la neige tombait par épisodes, de sorte que la silhouette découpée des buis de l'allée ne perdait jamais tout à fait de sa clarté.

Au-delà de toutes les prévisions, le froid s'était montré vif en ce premier jour d'hiver. La pluie tombée en abondance depuis une semaine avait, en gelant, figé les pieds des rosiers dans les parterres. Il était tout juste dix heures à la pendule de l'entrée et la lumière du jour ne suffisait pas à éveiller la maison. Des ombres d'un bleu dense mais vaporeux semblaient retenir le mobilier dans une brume profonde. Un œil endormi posé sur cette obscurité n'aurait vu en elle qu'un vide diffus dans lequel auraient disparu des bribes de tables et de chaises, des fragments de murs.

Pourtant, on ne saurait trouver moins à plaindre que les habitants invisibles et ensommeillés de cette demeure. Au douzième étage d 'une tour HLM, une porte d'un orange mâtiné de rose saumon et griffé en sa base par je ne sais trop quelle animal, restait obstinément fermée. Vous n'êtes pas sans savoir que nous étions en décembre. Pour les résidents de ce clapier, car on ne saurait le désigner autrement, cela ne changeait rien. Contre toute attente l'approche des fêtes ne provoquait pas la moindre montée d'enthousiasme.

Derrière la porte, des carreaux de lino noirs et blancs étaient peu à peu révélés par la même lumière bleutée que la salle à manger endormie. Cependant elle ne faisait qu'intensifier la mort apparente du lieu. Dans l'enfilade de ce couloir d'une inutile longueur se trouvait une cuisine étroite, dont le récent nettoyage était déjà effacé par les restes de quelques repas. Au fond, juste après la poubelle une fenêtre PVC encadrait une vue brumeuse et cimentée, que la neige ne parvenait pas à rendre poétique.

A droite, juste avant la cuisine, un autre couloir gangrenait l'appartement, tapissé d'une moquette qui avait dû être un jour bleu marine. Il menait à une chambre, porte fermée, et à une salle de bain de la taille d'un placard et néanmoins aménagée avec plus de goût que tout le reste du lieu.

Derrière la porte close, une femme, contrairement à ce qu'on pourrait croire, elle ne dormait pas. Couchée sur le flanc dans son lit défait elle regardait le vide d'un œil plein d'espoirs. Par ordre de préférence, un avenir, une raison, un billet pour Grenoble. Son projet était sans commune mesure avec ceux qu'elle formulait jusqu'ici : un abat-jour, une place de parking, un test HIV.

Mais maintenant il était tôt et elle se lassait de faire vibrer sa corde sensible. Ne voyant pas encore sous la porte le rai de lumière qui lui indiquait habituellement la fin de matinée, elle ferma les yeux et se rendormit.

Dans la salle à manger, en revanche, la table servait enfin. Réveillée par le bruit des branches contre sa fenêtre, la plus jeune des nièces s'était levée et avait, maladroitement mais avec une assurance remarquable, entrepris de préparer son petit déjeuner. Il ne faudrait pas oublier ce détail, elle n'avait qu'une main. Son père n'ayant pu objecter de bonne raison, après l'accident de ski de l'enfant, pour qu'on ne la lui coupa point. La fillette avait rapidement considéré la chose absente comme acquise et s'en accommodait fort bien.

Comme par hasard, c'est un peu tiré par les cheveux, mais que voulez-vous, il faut bien finir ce texte.

Rose Mansion

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Perspectiviste acharné depuis 1995 /unremitting perspectivist